Le site du Curnic : occupation humaine ancienne

Le site du Curnic est le site préhistorique le plus riche de Guissény puisqu’il montre la présence et les activités des hommes sur cette zone depuis le néolithique jusqu’à l’époque romaine.

En septembre 1949, des archéologues, dont P.R. Giot, se trouvent sur la plage du Curnic et observent

au milieu de cette plage l’affleurement d’une belle tourbière marécageuse submergée, offrant en surface branches, racines et même de grosses souches. A l’ouest affleurait le limon sous-jacent, où l’on remarquait des polygones dont les cloisons étaient mises en relief par des racines de roseaux.

Ils reviennent les années suivantes sur le site moins dégagé et recueillent des éclats de silex taillés et des tessons de poterie qui montrent que l’argile sous-jacente à la tourbière marécageuse est un vieux sol d’habitat.

En 1958, le site ayant été exceptionnellement dégagé par la marée, ils retrouvent « des foyers construits en pierres ; les charbons de bois sont nombreux, dispersés dans la couche ; on y trouve quelques débris d’ossements d’animaux, beaucoup de tessons de poterie, les uns assez frustes (céramique d’usage), d’autre plus fins et micacés, des éclats de silex, et en particulier une flèche tranchante en quartzite, une hache en fibrolite, une hache à bouton parfaite et un tranchant de hache polie en dolérite.

Sur une partie de l’estran où le vieux sol a été érodé par la mer, on voit dans le limon jaunâtre qui lui est sous-jacent des taches circulaires ou allongées formées par des remplissages de trous par le vieux sol ; il pourrait s’agir de poteaux en ce qui concerne les taches circulaires, quoique aucune disposition de ces trous en lignes n’ait pu être notée  ».

A partir de 1961, Louis Talec visite régulièrement le site. « Les traces de trous de poteau et de fosses sont les premières évidences que l’on possède, montrant que les hommes des civilisations néolithiques occidentales possédaient des grandes maisons en bois.

Un série de datages radiocarbone, s’étageant entre 3300 et 2700 avant notre ère, montre que le site de ce village, qui s’étend au moins sur un hectare, a été habité pendant plusieurs centaines d’années consécutives. Ce site est contemporain des premiers dolmens, comme celui de l’île Carn, en Ploudalmézeau  ».

En 1962, les archéologues organisent une campagne de fouilles avec le concours de L. Talec et celui des autorités municipales pour le recrutement de la main-d’œuvre.

Le travail se fait dans des conditions difficiles car il est interrompu chaque jour et le site remblayé par la marée.

Mais le site commence a être connu des spécialistes et voit passer plusieurs chercheurs de différentes nationalités. « Il a été possible d’obtenir des précisions importantes sur la topographie du site, sa situation géologique et la répartition des traces d’habitat et d’étudier deux belles fosses parallèles juxtaposées  ».

Les foyers comprennent une série de pierres brûlées juxtaposées sur plusieurs décimètres carrés, parfois sur deux épaisseurs, reliés par une terre cendreuse noirâtre très riche en fragments de charbon de bois ; les plus petits foyers sont formés de quelques galets brûlés de granite seulement.

Des pierres brûlées isolées, très désagrégées, se trouvent un peu partout dans le vieux sol. Certains galets brûlés ont pu servir à concasser le grain.

Dans les foyers, se trouvent parfois des amas importants de charbon de bois. Plusieurs datations radiocarbone donnent des dates entre 4.000 et 2.500 avant J.C. qui montrent une longue durée d’occupation du site à l’époque néolithique, supérieure à mille ans. Les fragments de poterie sont souvent difficiles à interpréter mais quelques-uns sont caractéristiques, notamment deux fragments de rebord de « vases-supports » qui appartiennent à des vases circulaires, avec piédestal à parois convexes, typiques du « Chasséen » occidental. Les objets en pierre comprennent des haches polies et des objets en silex.

«  En juillet 1958 […], notre attention fut précisément attirée par quelques taches foncées, brunâtres, les unes circulaires, d’un diamètre de 15 à 20 cm ; les autres allongées et sans forme géométrique, de plus d’un mètre de longueur pour une largeur de quelques décimètres.

Les taches circulaires avaient en plan une apparence identique aux images que donnent les trous de poteaux classiques des maisons danubiennes dans le loess de toute l’Europe Centrale ; de même les grandes taches allongées avaient une apparence tout à fait comparable à celle des fosses d’extraction qui bordent à l’extérieur les maisons danubiennes et servent souvent de dépotoirs ou foyers, mais malheureusement il ne s’y trouvait ici aucun reste d’objet archéologique qui aurait pu en préciser l’âge.

Ces observations furent faites dans la partie occidentale de l’estran, entre le cordon de galets qui part vers Enez Kroasent et l’emplacement de la tourbière, et juste au-delà du niveau moyen des marées…

Ces constations suggèrent donc l’existence possible de maisons en bois vraisemblablement d’assez grandes dimensions.

C’est évidemment un vrai supplice de Tantale que de ne pouvoir en connaître davantage quant au plan par exemple, ni d’avoir pu en établir fermement l’âge néolithique. En effet, toutes les traces de fosses remplies de terre et de charbon de bois, que nous avons observées ensuite, en remontant la plage, que ce soit par l’effet de l’érosion naturelle ou lors de la campagne systématique que nous avons pu mener en 1962 sur le site, se sont révélées être beaucoup plus récentes ».

Dans le vieux sol se rencontrent dispersées bien d’autres traces d’activités humaines. Quelques-uns des galets granitiques brûlés paraissent avoir pu être des molettes à concasser le grain.

On y a trouvé plusieurs haches en pierre polie. Cette industrie lithique se complète par de nombreux fragments de silex taillé : quelques lames brisées, de petits nucléi, de petits rognons mais les objets finis sont rares (deux pointes de flèches par exemple).

La céramique, à l’état de petits tessons dispersés, est relativement abondante mais on n’a guère d’éléments pour préciser la morphologie exacte des vases. Il s’agit d’une céramique d’usage courant.

Quelques tessons paraissent avoir conservé à l’extérieur les reliques d’un véritable enduit de suie, comme il est naturel pour des vases culinaires ; des récipients à fond plat ont été retrouvés parmi les autres.

Ces différentes découvertes ne permettent pas de situer précisément le site dans le temps. Cet habitat n’a pu durer trop longtemps, et il est à exclure qu’il puisse avoir duré jusqu’à atteindre les débuts des civilisations du Néolithique secondaire, puisqu’il est scellé par la tourbière qui lui donne une fin bien antérieure.

On pourrait se dire qu’enfin on tient un habitat des premiers mégalitheurs, dont on a toujours pensé qu’ils vivaient sur les plaines littorales, souvent envahies par les mers actuelles, et qu’ils allaient enterrer leurs morts sur le sommet des collines à l’arrière. La distribution géographique des dolmens à galerie en liseré sur le littoral léonard, dans les îlots et les presqu’îles, cadrerait fort bien avec cette hypothèse.

Le site serait alors du Néolithique Moyen. Cependant il n’y a aucun fait interdisant de penser qu’il puisse être du Néolithique Ancien, représentant une culture antérieure aux mégalithes, qui a pu fournir le fonds régional sur lequel ce rite funéraire s’est implanté.

L’étude des pollen et des fragments de charbon de bois permet d’obtenir des datations. Une mesure donne 3.140 ans avant notre ère (± 60 ans) : cette datation dans le quatrième millénaire montre l’antiquité du gisement, situé non loin de la transition entre le Néolithique Ancien et le Néolithique Moyen.

Par rapport à l’ensemble des datations dont on dispose pour le Néolithique européen, le site du Curnic se situe d’une manière générale avant la plupart des gisements que l’on range dans les cultures du Néolithique Moyen, et après les gisements des cultures du Néolithique Ancien. En tenant compte des marges d’approximation et des décalages régionaux possibles, il ne peut donc être donné de réponse définitive au problème.

Il est également possible d’essayer d’utiliser la position du gisement par rapport au niveau marin pour en tirer quelques conclusions.

Dans la baie de Treissény, de l’autre côté du Curnic, il existe une allée couverte située sur l’estran, près de Lerret, en Kerlouan.

  • C’est un monument des civilisations du Néolithique Secondaire, correspondant au Néolithique Supérieur, et dont la position est plus élevée par rapport au niveau moyen actuel. La comparaison peut être faite aussi par rapport au menhir de Lilia en Plouguerneau.

Vers 3.000 avant notre ère, les sites du Curnic et de Lilia devaient être encore fort habitables, le niveau moyen pouvant avoir été à 6,50 mètres au-dessous du niveau de l’actuel, et un cordon littoral ou des dunes, situés par devant, pouvant avoir protégé le site des plus hautes mers.

Il n’est donc pas possible de dire avec certitude si le site d’habitat du Curnic correspond à une civilisation de la fin du Néolithique Ancien, ou d’une civilisation du Néolithique Moyen, à comparer avec celle des premiers dolmens à galerie : on dit qu’il s’agit de Néolithique Primaire Armoricain.

Mais le site du Curnic a fourni une autre découverte intéressante en 1960 : un objet en terre cuite, collé sur le limon, garni d’algues vertes qui s’y étaient fixées comme sur un galet.

Il s’agit d’un « pilier en trompette » d’un briquetage pour l’extraction du sel, preuve de l’existence dans les environs d’un briquetage de l’Age du Bronze, sinon de l’Age du Fer.

En avril et mai 1961, est apparue «  la trace noire d’une fosse garnie d’un remplissage d’une richesse extraordinaire en charbons de bois… Nous avons d’abord pensé qu’il s’agissait d’une fosse du village néolithique tant désiré ».

Mais la datation donne la date de 1270 av. J.C. . Cette fosse est retrouvée lors de la campagne de fouille de 1962, ainsi qu’une autre à proximité.

La première n’a fourni que trois petits tessons de céramique grossière (datés de 800 av. J.C.). La deuxième, beaucoup plus large et profonde, contenait moins de charbons de bois et un minime éclat de silex (daté de 1225 av. J.C.).

Le contenu de ces fosses se situe donc dans le Bronze Moyen et dans le Bronze Final. « On peut supposer avec vraisemblance qu’il y a eu une période d’assèchement du marais, et que la date de 800 avant notre ère est la plus précoce admissible pour l’utilisation des foyers, où l’on a très bien pu brûler les branches et les troncs d’arbres ayant vécu précédemment dans le marécage, et dont les souches ont subsisté jusqu’à nous ; l’emploi de ce bois ancien, souvent mort ou même en voie de fossilisation explique alors très bien les dates en apparence du Bronze moyen qui ont été obtenues ».

Au printemps 1963, L. Talec observe, à quelques mètres de l’emplacement des fosses, de curieux assemblages de pierres débitées qui semblent piquées et ordonnées en cercle dans le vieux sol. En juin et juillet 1964, ils sont mieux dégagés : les blocs de pierre, qui sont des fragments de granite débités, varient en dimensions.

Quelques très gros blocs, visibles en 1963, ont été dessouchés en 1964. « Ces appareillages de pierres piquées sont les socles de briquetage pour l’extraction du sel… Mais le cordon littoral a dû broyer depuis longtemps la plupart des restes d’éléments en terre cuite qui pouvaient accompagner ces socles.

Un goémonier et pêcheur qui fréquente cette plage nous a dit qu’une année de sa jeunesse, où la plage avait été très amaigrie, une demi-douzaine de structures similaires avaient été visibles tout à fait à l’Ouest de la plage du Curnic, non loin des rochers qui la séparent de la grande baie du Vougot  ».

Ainsi, en plus des restes de l’habitat néolithique mis en évidence dans le vieux sol scellé par la tourbière submergée, de nouvelles datations radiocarbone ont montré que les grandes fosses remplies de charbon de bois, découvertes lors des fouilles de 1962 ou vues depuis au hasard de l’érosion, correspondent à un assèchement du marais et à une nouvelle occupation du site à l’Âge du Bronze Final.

Ces fosses sont à relier à des systèmes de pierres fichées dans le vieux sol, un peu plus haut sous le cordon littoral, et qui doivent correspondre à des soubassements d’appareils pour la séparation par évaporation du sel marin ; un élément de briquetage en terre cuite, un pilier en trompette, a d’ailleurs été recueilli sur le site. Nous avons donc là le premier cas d’une industrie protohistorique du sel sur les côtes du Léon.

En 1980, le B.S.A.F. reparle du site du Curnic.

L’érosion marine mange peu à peu les vieux sols sous estran contenant des vestiges d’habitats néolithiques, c’est un sujet classique. Que les uns ou les autres observent au Curnic en Guissény, en section ou en dégagé, de nouveaux foyers n’a donc rien d’étonnant ; chaque fois que nous y allons nous photographions des structures garnies de petites pierres brûlées, mais l’intérêt s’émousse par ce qu’on n’est pas arrivé à remonter dans le temps plus haut que le Néolithique moyen alors que c’est le type de site où l’on aurait pu espérer trouver du vrai Néolithique ancien, dont les traces deviennent plus évidentes aux marges orientales du Massif Armoricain.

On est conduit à penser qu’on aurait eu plus de chances plus bas encore sur les estrans, si tous les vieux sols n’y avaient pas été érodés. Tout dépend tellement des conditions locales. Les tessons imprégnés de sel sont d’ailleurs très fragilisés.


Sources

  • GIOT (P.R.), L’HELGOUAC’H (J.), BRIARD (J.), « Le site du Curnic en Guissény (Finistère) », Les Annales de Bretagne, tome LXXII, 1965.
  • B.S.A.F., tome LXXXVII, 1961.
  • B.S.A.F., tome LXXXVIII, 1962, p. 47.
  • B.S.A.F., tome XC, 1964.
  • GIOT, B.S.A.F., tome XC, 1964, p. 285.
  • B.S.A.F, tome CVIII, 1980, p. 13.