Petits calvaires

On le sait, la croix simple signe chrétien est d’ordre symbolique tandis que le calvaire est d’ordre historique. Le calvaire, petit ou grand montrant le Christ accompagné de personnages, illustre la scène véritable qui s’est déroulée au Golgotha à Jérusalem. On notera qu’à Guissény, pas plus que dans la paroisse voisine de Plouguerneau, les calvaires sont vraiment peu nombreux. Aucun dans la campagne, seulement deux qu’il faut aller admirer dans l’enclos paroissial.

Calvaire n° 1, enclos côté sud.

CalvaireSud

Granite et kersanton. Œuvre hybride relevant de plusieurs époques. 1555, atelier Bastien et Henry Prigent. 1920 Donnard. 2000, J.-M. Jézéquel. Base circulaire à trois degrés, le premier avec corniche. Socle portant l’inscription : MISSION 1920. Fût circulaire lisse. Nœud en boule où se lit gravé : J . HABASC / GOUNER Gouverneur) 1555, ce qui date l’ensemble du monument.

De manière originale assez peu commune, la branche qui porte les statues a quatre bras, terminés par de larges masques. Sur les deux de l’avant, Vierge éplorée et saint Jean. Sur ceux de l’arrière, il y a saint Yves, une statue dont le revers non sculpté et laissé sous le coup de l’outil, montre que sa place n’est pas d’origine. Faisant pendant à ce saint Yves, une statue d’évêque, au revers lisse, sans doute saint Sezni.

Un Christ lié attendant le supplice est plaqué au revers du crucifié cloué sur une croix aux fleurons boules. Le calvaire a été restauré en 2000 par Jean-Marc Jézéquel. Le saint Jean a en particulier retrouvé sa tête. (Atlas n° 706).

L’histoire de ce calvaire qui n’est plus à sa place d’origine mérite d’être rapportée en suivant le récit circonstancié rédigé par le chanoine Simon. Nous le transcrivons dans son intégralité en respectant style et variantes orthographiques :

« Histoire de la grande et belle croix de Saint Yves »

Transportée au cimetière du Bourg et devenue Croix de Mission 1920 : Au village de SAINT EOZEN il y avait autrefois une chapelle dédiée à Saint-Yves. L’emplacement de la chapelle est toujours visible : il est entouré d’un talus en terre. Dans cet enclos et à quelques dix mètres de l’ancienne chapelle, il y avait une belle croix en bien mauvais état. Le soubassement est circulaire et en grandes pierres de taille, la gaule a dans les trois mètres de haut : tout au haut de cette gaule il y a une grande pierre transversale en kersanton dont chaque extrémité supporte deux statues ; puis vient le Christ avec des deux côtés un eccé homo et une descente de croix ; les extrémités de la croix se terminent par des boules ; la descente de croix et l’ecce homo étaient intacts, ainsi que le Christ, les statues avaient disparus :

je les ai remplacées par quatre autres statues également en kersanton, trouvées par ci par là, un peu partout. L’une de ces statues est une mater dolorosa, avec larmes tombant des yeux : elle a été enlevée de la fontaine Saint Yves dans la prairie d’en face. Je l’ai remplacée dans la fontaine par une statue en pierre, mais de moindre valeur.

Les officiers qui passaient par GUISSENY pendant la grande guerre me disaient en me montrant la Mater dolorosa : « Voilà un vrai chef d’œuvre qui serait vendu des milliers et des milliers de francs aux musées de Paris ».Toutes les pierres de ce calvaire, bien numérotées, ont été par mes soins transportées dans le cimetière du bourg, monsieur DONNARD marbrier à LESNEVEN, a fait le travail. J’ai payé le tout 1.550 F.

Depuis longtemps je voulais avoir cette croix pour le cimetière du bourg. Au village de Saint-Yves, il n’y avait autour d’elle que des chevaux et des vaches ! Un soir quelconque je disais mon bréviaire à l’église, mais hélas ! je n’avais que distractions sur distractions ! Impossible de chasser de mon esprit la pensée de la Croix de Saint Yves ! J’essayais de me recueillir un peu : inutile ! et je croyais entendre sans cesse une voix me dire et me répéter : « Allez donc demander cette croix à son propriétaire : vous l’aurez ». Ennuyé de ne pouvoir dire mon bréviaire attente et devote, je quittais l’église et m’en vais directement chez cette bonne personne Marie Anne BRETON de Brendaouez, à deux bons kilomètres du bourg. Je lui expose le but de ma visite et elle me répondit tout de suite : « Et bien oui, je vous la donne cette belle croix, et cependant, je vous l’avoue, je l’ai refusée plusieurs fois à d’autres recteurs de GUISSENY » Ah ! j’étais vraiment heureux d’avoir réussi. Monsieur DONNARD de LESNEVEN vint au jour convenu prendre la croix qu’il avait déposée à terre pièce par pièce. .J’étais sur les lieux et l’attendais avec impatience l’arrivée de mes paroissiens avec leurs charrettes. Hélas ! je dus attendre longtemps : personne ne bougeait ! A la fin cependant un conseiller municipal d’un village voisin osa s’approcher avec sa charrette : il avait l’air bien penaud. On lui charge sa charrette et le voilà en route pour le bourg. Ce que voyant les autres voisins vinrent aussi avec leurs charrettes, et pour le soir toutes les pièces de la Croix étaient rendues au cimetière du bourg. Mais tous me disaient : « Nous regrettons beaucoup la disparition de cette croix de notre village » je les consolais de mon mieux en leur disant : « Vous la reverrez au cimetière tous les dimanches et fêtes ; elle sera une bénédiction pour vos morts, et puis, plus tard j’élèverai ici à sa place cette autre croix que vous voyez adossée au talus de la route ». J’ai tenu ma promesse, et depuis Février 1934 la nouvelle croix est en place, piédestal en pierres de ciment, total ….450 F. Je me demande souvent si tous ces détails ont leur raison d’être, et à chaque fois raisonne à (mes oreilles)… la parole de Monseigneur COGNEAU : « des dates et des détails auraient été très intéressants ».

Puisque j’ai commencé à parler de croix je continue le même sujet :

  • 1. Croix de CALOUER sur le bord de la route de Brendaouez à PLOUGUERNEAU : ai payé 20 F pour déterrer la Croix et nettoyer tout autour…20 F. (Cette crois est aujourd’hui difficile à repérer).
  • 2. Croix de Croaz-ar-Gall. : « Croix de Croaz-ar-Gall à 100 mètres environ de la chapelle de Brendaouez au bas de la côte ai payé 100 F à Jacques Quiviger pour maçonnerie et garnir de ciment les joints entre les pierres = 100 F ». (La croix a été évoquée plus haut).
  • 3. Croix de Landévet, au milieu d’un village du même nom : belle croix : ai payé 160 F à J. Quiviger pour relever la Croix et cimenter :=160 F (autre croix difficile à repérer).
  • 4. Croix de Kermaro. Au bord de la route de GUISSENY à PLOUGUERNEAU ai payé au même : 100 F pour consolider et cimenter =100 F (Atlas n° 725 ou 726).
  • 5. Croix de Menez-ar-Groaz, sur le bord de la route du bourg à Lavengat : ai payé 100 F à Goulven Quiviger pour fixer une croix en ciment avec Christ sur une gaule existant depuis longtemps =100 F. (Atlas n° 727) »

En marge de cette histoire du calvaire de Saint-Yves, sous la plume du chanoine Simon, on notera, la statue géminée placée dans la niche de la fontaine Saint-Yves, un groupe qui ne peut provenir que d’un calvaire. S’y adossent un Christ aux liens et saint Yves. Le style de ce groupe conduit à l’attribuer à Roland Doré le célèbre sculpteur de Landerneau. (Atlas n° 742). Quant à la croix promise, en 1934, par le recteur Simon, en échange du calvaire, on la voit, aujourd’hui, au village de Saint-Yves, encadrée par une somptueuse végétation (Atlas n° 741).


Calvaire n° 2, enclos côté est.

CalvaireEst

Granite et kersanton, fin XVe siècle. Base carrée à trois marches à corniche. Socle carré plat, fût rond. Chapiteau rond, orné de quatre masques de moines. Au-dessus, quatre branches en étoile se terminent par des culots feuillagés. La croix du Christ à branches rondes est couronnée d’un dais gothique.

Au revers du Christ, belle Vierge couronnée à l’enfant. Ce calvaire est une œuvre hybride dont la composition s’écarte de la tradition des petits calvaires quant au choix et à l’emplacement des personnages. Ainsi à la gauche du Christ, il y a, ce qui va de soi, un saint Jean reconnaissable au calice, mais la Vierge Marie traditionnellement placée à la droite de son Fils mourant cède la place à saint André reconnaissable à sa croix.. Au revers le saint Pierre et le saint Paul, sont des œuvres contemporaines dont le profil rompt avec celui des statues d’origine (Atlas n° 707).